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Le diabète de type 1 chez l’enfant : une approche sociologique de l’expérience et des compétences enfantines

Lydie Bichet, Docteure en sociologie, UMR 7069 LinCS, CNRS/Université de Strasbourg

Printemps 2022 - Lettre n°41
#Diabète de type 1 #Enfants diabétiques

 

Réalisée auprès d’enfants atteints de diabète de type 1, une étude s’est intéressée à la configuration des relations de soin entre enfants, parents et professionnels de santé. Par une approche sociologique de la maladie, elle met au jour les compétences enfantines et le rapport des enfants aux soins, à soi et aux autres.

Le diabète de type 1 (DT1) interroge la technologisation des soins, comme en témoigne la multiplicité des dispositifs d’auto-surveillance et d’auto-administration de l’insuline. Si ces dispositifs participent à l’équilibre du diabète, ils présentent aussi des enjeux individuels, sociaux et relationnels. C’est ce que la recherche relève à partir de l’expérience des enfants, lesquels sont ici particulièrement touchés.

L’étude, menée entre 2016 et 2019, repose sur une méthodologie qualitative : observations ethnographiques au sein de 2 services d’endocrino- diabétologie pédiatrique et aux domiciles des familles ; entretiens auprès de 16 enfants (6-14 ans) dont certains ont été suivis plusieurs années, de leurs proches et des professionnels de santé impliqués dans leur suivi.

Les dispositifs médicaux sont, dans l’expérience des enfants, d’une importance centrale

La description de la maladie ne se fait jamais isolément de ces objets, en premier lieu parce que « le diabète, […] c’est ce que je dois faire tous les jours » comme le dit Emma1 (8 ans). Si l’attention est portée sur les dispositifs, c’est que le diabète se définit au quotidien par les actions entreprises pour le traiter. Ces actions varient selon les types de traitement. Si bien que les enfants catégorisent plusieurs diabètes, non pas en reprenant le découpage entre types 1 et 2 (qu’ils connaissent), mais en différenciant les « copains de la pompe » et ceux qui auraient « le diabète avec la piqûre ». Ce dernier est par ailleurs souvent décrit comme plus contraignant, nécessitant davantage de gestes, de soins et de temps à lui accorder.

Les dispositifs techniques et technologiques participent en même temps au développement d’un ensemble de savoirs et savoir-faire mobilisés dans la relation à soi.

Le DT1 nécessite un engagement corporel constant et mêle travail des sens et technicité

« Sentir » et « mesurer » le corps – confronter sensations et chiffres – encouragent le développement d’une nouvelle intelligence sensible et d’un rapport au corps et à soi inédit (Vinel & al., 2021).

En s’intéressant aux dispositifs transportés, l’étude relève les effets d’un corps-à-corps permanent à l’objet et les manières dont les enfants s’y adaptent en développant de nouvelles techniques du corps – de nouvelles manières de se servir de son corps (Mauss, 1834) – tout en travaillant l’objet à soi. Ils configurent ainsi un « corps-avec-un-capteur » ou un « corps- avec-une-pompe » de façon singulière, en modifiant l’équipement, la place du dispositif ou en lui en annexant d’autres (harnais, ceinture) selon des préférences corporelles qui leur sont propres.

Ces dispositifs sont souvent placés à des endroits discrets. Ils peuvent aussi parfois être apparents et venir symboliser son appartenance à un genre (autocollants roses, bleus, militaires…) ou son inscription dans un groupe d’âge, comme en témoignent chez les garçons l’usage de brassards de marque de sport pour protéger le capteur et chez certaines filles l’usage du premier sac à main induit par le matériel à transporter. Ces pratiques relèvent l’importance des looks et consommations culturelles comme éléments d’affiliation (Sirota, 2005) et la puissance identitaire endossée par les objets du diabète qui constituent autant les révélateurs d’une différence que des éléments d’identification à un groupe. D’abord intrusifs, ceux-ci sont investis et réappropriés, les enfants contribuant par la même à la constitution d’un corps « pour soi ».

Celle-ci passe également par l’action de soi sur soi et la réalisation de ses propres soins, comme le dit Lucie (10 ans) : « Comme ça, il n’y aura pas tout le monde qui regarde ». Elle s’appuie sur l’acquisition de compétences médicales – connaître le fonctionnement du corps, de l’insuline, les seuils glycémiques, réaliser un dextro, un bolus, une injection… – telles qu’enseignées via l’éducation thérapeutique du patient. La recherche montre à cet égard certaines désynchronisations entre la trajectoire d’autono- misation prévue en pédiatrie et la réalité des pratiques observées au quotidien. Si une participation progressive est encouragée selon l’âge chronologique de l’enfant, ce facteur est parfois moins déterminant que d’autres dans l’acquisition de compétences : durée de l’expérience (âge au diagnostic), socialisation familiale antérieure, pratique partagée au sein de la famille (Bichet, 2020). En outre, les enfants montrent des parcours non linéaires, faits de moments de fort investissement et d’autres où, de tout âge, ils préfèrent déléguer, y compris les tâches qu’ils peuvent et revendiquent faire en d’autres occasions.

Les enfants revendiquent un statut d’acteur

S’ils identifient une distribution générationnelle des compétences – sont a priori compétents les adultes et a fortiori professionnels –, aussi cherchent-ils à se montrer et à agir comme des « grands ». Reconnaissant les attentes et codes hospitaliers, ils n’hésitent pas à y exposer leur maîtrise du traitement, des gestes, des chiffres et du vocabulaire médical. Bien qu’ils ne les mobilisent pas nécessairement au quotidien, ceux-ci leur permettent d’être ici jugés « grands », « précoces », « matures » (termes relevés en consultations) et de dépasser l’attribution d’un statut lié à l’âge par un autre, davantage lié à la compétence. Ils peuvent, en d’autres situations, chercher à subvertir l’ordre générationnel en disqualifiant les adultes familiaux qui n’oseraient réaliser le traitement ou les infirmières scolaires qui ne connaîtraient « rien » au diabète. Se sentant comparativement compétents, les plus jeunes se disent néanmoins peu pris en compte dans la relation thérapeutique et écartés des soins, ce qui peut générer un désintérêt. L’étude met ainsi au jour des formes non-participatives d’agentivité (pouvoir d’agir) – incompétences feintes, silences, mises en retrait (Bichet, 2019) – et les manières dont les compétences médicales sont adossées à d’autres, sociales et relationnelles, pour donner forme aux relations de soin.

 


Bichet, L. (2019). « Rethinking agency through children’s experiences of chronic illness: When being an actor also means not participating », Salute e Società, 3, 11-24.

Bichet, L. (2020). « La place des dispositifs médicaux dans le réagencement des relations familiales et la constitution d’une communauté de pratique », La Revue Internationale de l’Education Familiale, 48, 47-64.

Mauss, M. (1992[1934]), Sociologie et anthropologie, Paris : PUF, 363-386.

Sirora, R. (2005). « L’enfant acteur ou sujet dans la sociologie de l’enfance », in Bergonnier-Dupuy, G. (dir.), L’enfant, acteur et ou sujet au sein de la famille, Ramonville-Saint-Agne : Eres, 33-41.

Vinel., V., Diasio, N. Bichet, L., 2021. « Enfants et adolescents face à la maladie chronique : savoirs techniques, intelligence sensible et soutien familial », Revue des Politiques Sociales et Familiales, 138, 89-97.

 

1 Prénoms modifiés.

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